Il y a un type de jeu vidéo que j’affectionne particulièrement, ce sont les RPG. Je crois que cela tient à la richesse et la complexité de l’histoire, au dépaysement que cela offre, aux émotions fortes vécues : tristesse, joie de l’accomplissement, et aux questionnements soulevés : rapport à la mort et à la vie, à la justice, au vivre ensemble, à la liberté et aussi au bien et au mal. Et cette question m’a particulièrement marqué lorsque j’ai refait Fable il y a quelque temps.
Un peu de contexte : je n’ai joué qu’à la version PC, avec l’extension « the Lost Chapters », sortie en 2005, développée par Lionhead Studios et éditée par Microsoft Game Studios. Il s’agit d’un RPG humoristique dans un monde médiéval fantastique, où on incarne un héros, orphelin après la destruction de son village, qui va être accueilli et formé à la guilde des héros.
À la différence d’autres RPG, il n’y a pas de personnalisation de l’avatar, et s’il y a des choix possibles de compétence, le jeu ne permet pas des gameplays très différents. Et le fait que ce soit un jeu-couloir accentue une certaine redondance, d’autant plus qu’il n’y a pas beaucoup de quêtes annexes invitant à l’exploration et à la découverte. C’est un jeu très efficace et plaisant dans ce qu’il propose, à savoir une suite de quêtes, assez linéaire, mais avec un vrai sentiment d’accomplissement.
Un des arguments de vente, qui était assez inédit à l’époque, était la gestion de l’alignement moral. En effet, suivant nos actions, nos choix, nous devenons bon ou méchant. Tuer des bandits, des monstres, manger des carottes dorées, épargner des ennemis, tout cela conduit vers le bon coté, alors que tuer des villageois, manger des crousty poulets (en quoi c’est mal, je vous le demande), voler conduit vers le mal…
Si on ne fait que suivre les quêtes il est beaucoup plus facile d’être gentil, car la plupart donnent le beau rôle, et font tuer des monstres et bandits. Certaines (rares) quêtes laissent le choix d’être gentil ou méchant, par exemple dans l’attaque de la ferme on peut choisir d’être du côté des bandits ou des gardes, mais le plus souvent c’est la façon de résoudre la quête, ou même juste la décision finale de la quête qui détermine si on gagne des points du bien ou du mal. Un autre élément montre qu’il est plus facile d’être gentil, en effet vous pouvez vous rendre au temple d’Avo pour faire un don d’argent et hop, gentil ! Alors, il existe bien la chapelle de Skorn pour devenir méchant, mais c’est beaucoup plus fastidieux (histoire de sacrifice humain, tout ça, tout ça…).
Ainsi, le jeu pousse le joueur plutôt vers le bien et cela pose des questions : est-il plus facile d’être gentil ? Tuer des bandits c’est bien ? L’argent rachète tout ? Peut-on changer totalement ? Peut-on être parfaitement bon, totalement mauvais ? Par ailleurs, le fait d’être bon ou mauvais n’a globalement pas d’impact sur le gameplay, on a accès à des sorts similaires, des armes identiques, il y a bien des changements visuels, les PNJ réagissent différemment suivant notre alignement, mais tout cela est sans conséquences. On peut très bien faire une partie en n’étant que gentil et choisir d’être méchant juste à la fin. Il n’y a pas vraiment de cohérence narrative, c’est juste un élément accessoire. Le jeu n’aborde pas les questions des conséquences d’être bon ou mauvais, pas de questions sur le renoncement, la perte, rien sur la culpabilité, sur l’attrait du mal, sur le désir illusoire de la perfection.
Il s’agit là d’un travers courant des jeux vidéos, en particulier des RPG, (par exemple pourquoi il est possible de tuer tout le monde dans Skyrim, sauf les enfants ?) mais comme c’est un argument de vente, un élément présenté comme important du gameplay, je trouve que c’est un peu dommage que cela ne reste qu’esthétique.
Toujours est-il que ce jeu soulève de nombreuses questions, sur le bien et le mal, sur le fait d’être bon ou mauvais. Et celle qui m’a le plus intéressé est de savoir si on peut vraiment savoir ce qui est bien ou mal. En effet, dans la vie, nous n’avons pas de compteur de bonnes ou de mauvaises actions, pas de barre qui nous donne notre alignement, pas de changement physique qui témoignerai de notre bonté ou de notre méchanceté.
La caractéristique principale de l’humanité est de ne pas connaître l’étendue des conséquences de ses actions. Nous sommes dans l’incapacité de déterminer avec précision quels seront les effets de nos choix. Il n’y a rien de mécanique. D’autant plus que les notions de bien et de mal diffèrent selon les cultures, les époques et les circonstances. Pour moi, il n’y a que peu de choses universellement mauvaises : tuer, violer. De même, je ne connais pas de personne totalement bonne ou totalement mauvaise. Nous sommes toujours dans un entre-deux et nous essayons de faire au mieux pour vivre ensemble.
La notion de bien et de mal est, pour moi, toujours relative.
C’est en réfléchissant à cette question que j’ai repensé à ce texte de la Genèse :
« Le serpent dit à la femme : ‘Non, vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance de ce qui est bon ou mauvais.’ » (Gn 3,4-5, TOB)
On affirme que le mensonge du serpent est de nous faire croire que nous serons comme des dieux, mais je crois que cela va plus loin que ça. Son mensonge est de nous faire croire que nous serons comme des dieux car nous connaîtrons le bien et le mal. Ainsi nous nous trompons lorsque nous jugeons une situation, que nous affirmons que ceci est bien, que cela est mal. Pour moi le péché originel est de croire que nous pouvons déterminer avec exactitude les conséquences bonnes ou mauvaises de nos actions.
Cela ne veut pas dire que nous sommes dédouanés de nos responsabilités, je crois même que c’est le contraire. Cela nous appelle à l’humilité et à la prise de conscience du fait que les conséquences de nos actes, de nos paroles nous échappent. Cette découverte nous invite à être beaucoup plus prudent et attentif.
Pour finir, je vois dans l’enseignement du Christ un dépassement de cette question de faire le bien et le mal. Car si on y regarde de plus près, Jésus n’appelle jamais à vivre selon une morale, qui dirait ce qui est bien ou mal. Non, Jésus appelle à aimer. Il fait de l’amour de soi, du prochain et de Dieu, le seul critère valable pour vivre. Paul exprime cela quand il affirme que l’amour est le plein l’accomplissement de la Loi (Rm 13,10).
De nombreux jeux ont repris cette question du bien et du mal, de l’alignement moral, en réfléchissant aux conséquences de faire le bien ou le mal, au fait que rien n’est tout bon ou tout mauvais. Mais il y a un jeu qui aborde la question de façon très originale (et j’aimerais le tester) c’est Undertale, où il est possible de tuer les ennemis ou de s’en faire des amis, pour gagner.