J’ai été introduite dans l’univers du jeu de rôle par mon mari il y a une dizaine d’année, avec principalement Donjons et Dragons (Pathfinder et maintenant DnD 5). J’étais déjà adepte du jeu, jeux de société et jeux vidéos, j’ai vite plongé dans le jeu de rôle avec beaucoup d’enthousiasme ! Une belle activité que nous partageons en couple, mais pas seulement.
Il y a plusieurs genre de jeux de rôle : narratif, avec des cartes, des dés, de l’aléatoire ou du stratégique, de la coopération ou du tous contre tous. DnD 5, c’est surtout des aventures narrées par le MJ, dans lesquelles les personnages que nous incarnons (autour d’une table, avec une figurine et une feuille de personnage) interagissent et prennent des décisions (de types sociales ou guerrières généralement), et où la dimension aléatoire est représentée par un jet de dé. Le dé le plus souvent utilisé est le dé à 20 faces (c’est d’ailleurs grâce au jdr que j’ai découvert qu’il existait autant de sorte de dés!) : lorsque mon personnage se retrouve face à un obstacle à traverser, je lance un d20 (dé à 20 faces), j’ajoute un modificateur au résultat (par exemple si je suis particulièrement habile en saut, j’ai un +5), et je donne le résultat au MJ qui m’informe si j’ai dépassé la difficulté de l’obstacle, ou non. Entre 10
et 15
, on peut envisager de réussir, en dessous de 10
c’est plutôt rare, et au-delà de 20
c’est souvent réussi. Avec ce système, un 1
sur le dé est un échec critique, échec automatique, quel que soit le modificateur que l’on a, et un 20
est une réussite critique/automatique. Ainsi, même si l’on est très bon, on peut parfois se planter. Et même si l’on est novice, on peut parfois y arriver.
Comme souvent, quand je pratique une activité, elle me donne à réfléchir sur le monde, sur ma vie, et sur Dieu (il m’arrive de préparer mes prédications ou recueillements en faisant la vaisselle ou en mettant mes enfants au lit). Le jdr n’est pas une exception pour cela, et vous l’aurez certainement compris, c’est à partir du d20 qu’une réflexion m’est venue.
Dans la vie, comme dans le jeu de rôle, il y a des modificateurs de compétences : dans certains domaines nous avons beaucoup d’expériences, et donc un modificateur élevé, et dans d’autres nous n’y connaissons rien, voire nous sommes très mauvais, et dans ceux-ci notre modificateur est soit inexistant, soit négatif. Il y a les compétences innées, liées à notre génétique par exemple (plus facile de courir vite avec des grandes jambes), et il y a les compétences acquises, pour lesquelles il est possible de faire grandir notre modificateur, par de l’entraînement ou parfois par des objets extérieurs (les mathématiques sont tout de même plus accessibles depuis l’invention de la calculatrice et de l’ordinateur).
Néanmoins, il y a toujours une part d’aléatoire, de surprise, d’imprévisible. J’ai beau savoir marcher, il peut arriver que je m’ encouble (et pas seulement sur un lego!). J’ai beau avoir révisé mon histoire et connaître par cœur les dates à retenir, face à un test je peux avoir tout oublié. J’ai beau ne pas m’y connaître du tout en jardinage, il se peut que des concombres poussent dans mon jardin. J’ai beau aller à un événement la peur au ventre parce que je ne connais personne, je peux en ressortir le sourire aux lèvres et avec plein de nouvelles personnes rencontrées.
Nous imaginons souvent avec mon mari ces actes de notre vie quotidienne où nous avons lancé un dé : lorsque je choisis un tupperware pour mettre les restes du repas et que ceux-ci passent juste-juste, je dis « ah, j’ai fait un 20
sur mon jet d’appréciation de tupperware ! » A l’inverse, si le tupperware est à moitié vide, c’est plutôt un 10
: pas tellement un échec, mais pas tellement une réussite non plus.
Oui, dans la vie, parfois on fait 1
, parfois 7
, 12
ou 15
, et parfois 20
. Et il n’y a pas plus de raison que je fasse 1
ou que je fasse 20
sur mon jet de dé. Il y a peut-être plus de probabilités, c’est sûr. Mais en soi, les probabilités ne sont pas une prédiction de l’avenir : ce n’est pas parce que j’ai plus de chance de faire tel résultat que ce sera forcément le cas.
A chaque fois, il y a une chance sur 20
de faire 20
. Ou de faire 1
. Ou de faire 8
. A chaque fois, il faut prendre le risque de lancer le dé car le résultat est imprévisible !
Jusqu’il y a deux ans environ, je n’avais pas conscience de ce que cette histoire de jet de dé, et de réussite/échec imprévisible, représentait vraiment dans ma vie. Je partais plutôt du principe que j’allais réussir. J’avais toujours réussi, ou presque, et il n’y avait pas de raison que ça ne continue pas ainsi ! Ma vie s’était déroulée à peu près comme je l’avais prévu pendant 29 ans, alors ça pouvait bien continuer.
Et puis tout à coup, j’ai commencé à enchaîner les 1
, les 2
, les 5
, puis à nouveau un 1
. Échec. Le résultat final ne dépasse par la difficulté pour y arriver. Difficulté qu’on ne connaît pas, évidemment. On ne sait pas si on a raté de peu ou de beaucoup. Tout ce qu’on sait, c’est que c’est raté pour cette fois.
Dans le jdr, quand on échoue, il y a plusieurs possibilités :
L’échec, en plus de mettre un peu de challenge dans le jeu et de lui donner un côté réaliste, est un bon boost à la créativité et à la recherche d’autres solutions: pourquoi ne pas escalader plutôt que crocheter la serrure, négocier plutôt que taper, taper plutôt que négocier ? Et parfois ça montre simplement que ce n’est pas possible, qu’il faut abandonner. Que ce n’est pas pour nous, ou que ce n’est tout bonnement pas faisable, pour quiconque.
Quand on lance le dé, on n’a aucune assurance de réussir. Même si on a de super bonus, on n’est jamais à l’abri d’un 1
. Et on peut toujours espérer un 20
. Parfois c’est seulement le 20
qui permet de réussir, parfois il vient, parfois pas. Lorsqu’on lance le dé, on prend toujours le risque que ça ne fonctionne pas.
Dans la vie c’est pareil : on ne sait jamais si ça va marcher ou non. Les études, le couple, l’éducation des enfants, donner la vie à un bébé, parvenir à adopter, trouver un nouveau travail, le garder, arriver au bout de cette journée, gagner une compétition sportive, être en bonne santé. Tout simplement vivre.
Parfois ça dépend d’un seul jet de dé réussi, parfois d’une succession importante de jets, et alors un échec n’est pas très important, pour autant qu’il y ait suffisamment de réussites.
Oui, la vie a une dimension imprévisible, qu’on ne peut pas prévoir, pas connaître à l’avance. C’est à la fois excitant et effrayant ! Cela dépend de chaque personne et de notre attrait pour l’inconnu, mais aussi des situations, qui sont plus ou moins agréables à traverser sans savoir comment elles vont se terminer.
La vie est une surprise qu’on ne connaît pas à l’avance. La vie est un risque. Vais-je oser lancer le dé et m’en remettre au résultat ? Ou vais-je préférer ne pas tenter et donc ne rien faire ? Parfois c’est possible de ne rien faire, parfois pas. Mais si on ne lance jamais le dé, on quitte la partie, on arrête de jouer.
Bien souvent, j’ai peur du résultat. Ou plutôt, j’ai peur de l’échec. Je n’aime pas ça, il me fait peur, j’ai trop peur qu’il me mette à terre complètement et que je n’arrive pas à continuer d’avancer. Mais j’ai aussi expérimenté que l’échec, s’il est désagréable (et parfois même plus que ça!!) n’est pas pour autant synonyme de la fin de la partie. Il y a la possibilité d’aller au-delà. De prendre un autre chemin. De continuer d’avancer. De relancer le dé.
J’ai expérimenté que Dieu, s’il n’est pas selon moi un modificateur qui m’aide à réussir mes actions ni celui qui contrôle le résultat du dé, Dieu est Celui qui sera toujours présent à mes côtés, que le jet de dé soit bon ou mauvais. Il est Celui qui m’encourage à recommencer ou à renoncer, qui me montre d’autres chemins, qui me console, qui me donne de la force pour avancer. Dieu est Celui qui fera toujours partie de mon équipe, et qui me fait voir que d’autres personnes aussi sont à mes côtés dans cette équipe.
Alors même si la dimension aléatoire de la vie me fait peur, même si ça vient ébranler mon besoin de sécurité et de prévisibilité, je veux continuer à lancer mon dé. Je veux prendre le risque de jouer, de vivre. Car c’est seulement comme ça que je pourrais dire à la fin : « J’ai joué, j’ai vécu des aventures plus ou moins agréables, mais j’ai vécu, j’ai essayé et je me suis amusée ! »