Kaamelott, la série culte qui a influencé la vision francophone des mythes arthuriens, et qui nous a promis, plus de dix ans après la diffusion du dernier épisode, un film censé sortir cette année… C'est l'occasion rêvée de revenir dessus, histoire de patienter encore un peu.
Kaamelott, c’est l’histoire du roi Arthur, entre ses chevaliers, sa femme, ses maîtresses, son passé, son peuple, et la quête du Graal. Evoquez Kaamelott et vous obtiendrez immanquablement un « Arthour ! Pas changer assiette pour fromage ! », un « Elle est où la poulette ? », ou encore un plus sobre « C’est pas faux. » Le talent pour la réplique qui fait mouche, Alexandre Astier l’a sans aucun doute, et cet humour à la fois simple et subtil (ainsi qu’une mise en scène très efficace) y est pour beaucoup dans le succès phénoménal qu’a connu et que connaît encore la série.
Ce qui est assez drôle quand on y pense, c’est le rôle finalement très mineur joué par la question religieuse dans une oeuvre somme toute basée sur la quête du Graal, fameux récipient dans lequel aurait été récupéré le sang du Christ.
Malheureusement pour moi (et heureusement pour vous), mes cours de français médiéval remontent à trop loin pour que je me rappelle en détail les enjeux littéraires et théologiques de ladite queste – euh… quête. Mais revenons néanmoins sur l’essentiel : le roi Arthur, dans une Bretagne chrétienne toujours mâtinée de paganisme, constitue une assemblée de chevaliers afin de retrouver le Graal, ce que seul l’homme le plus saint saura faire. Chez l’auteur Chrétien de Troyes, c’est Perceval qui s’approchera le plus de l’accomplissement de cette sainte quête, mais échouera en gardant le silence alors que le Graal apparaît devant lui ; puis dans la tradition ultérieure, Galaad, fils de Lancelot, y parviendra, avant de mourir, ne pouvant survivre longtemps à une telle épreuve. Ajoutons encore que cet objet n’est pas nécessairement une coupe, et se confond parfois avec une sorte de corne d’abondance ; ainsi, pour Chrétien de Troyes, il s’agit d’un plat à poisson – comme quoi, Perceval n’était pas si loin avec son bocal à anchois.
Pour Alexandre « Arthur » Astier, la quête (et la série) commence avec la construction de la fameuse table ronde, commanditée par la Dame du Lac, afin de réunir des chevaliers et organiser la quête du Graal. Ce cadre-ci va se faire plus discret à mesure que d’autres intrigues vont s’ajouter et s’étoffer, même si la question du Graal ou la tension entre monde païen et monde chrétien refont surface de temps à autre.
Voici d’ailleurs ce qu’explique le roi de Bretagne à ses chevaliers (la vraie nature du Graal, livre I, tome II) : « Qu’est-ce que c’est, le Graal ? Vous savez pas vraiment… Et moi non plus – et j’en ai rien à cirer. Regardez-nous, y en a pas deux qu’ont le même âge, pas deux qui viennent du même endroit ; des seigneurs, des chevaliers errants, des riches, des pauvres, … Mais… à la table ronde, pour la première fois de toute l’histoire du peuple breton, nous cherchons la même chose : le Graal. C’est le Graal qui fait de nous des chevaliers, des hommes civilisés, qui nous différencie des tribus barbares. Le Graal, c’est notre union. Le Graal, c’est notre grandeur. »
Fondamentalement, Arthur s’en fout, du Graal en tant qu’objet sacré ; ce qui l’intéresse, c’est la valeur symbolique (plus humaine que théologique) de la quête. Tant mieux pour lui, vu l’efficacité légendaire de ses chevaliers.
Alors, je sais bien que l’aventure n’est pas terminée (on attend trois films, aux dernières nouvelles), mais y a-t-il une conclusion à cette quête du Graal, au sein de la série prise telle quelle ? Il me semble que oui. En effet, Arthur tient un discours qui pourrait presque être le négatif de la citation précédente lors du tout dernier épisode (Dies Irae, livre VI) – pas un discours, d’ailleurs, mais le récit d’un rêve qu’il a fait : un vieil homme le mène voir le Graal, qui n’est autre que la baignoire dans laquelle Arthur a fait sa tentative de suicide. « Tous les suicidés sont le Christ, toutes les baignoires sont le Graal. »
Là, la théologienne que je suis est touchée, et a besoin de faire sens de cette métaphore. Ce que je vais brièvement développer sort du cadre de la fiction Kaamelott, et je sais bien que je vais outrepasser l’intention de la série avec mon propos (car une oeuvre ne dit pas plus que ce qu’elle dit, mais elle se laisse interpréter par chacun·e). Ainsi, le Graal est à Kaamelott, mais un Kaamelott vide et surtout dépossédé de sa table ronde – comme pour souligner qu’on est dans l’intime, et pas dans la gloriole chevaleresque. Dans la bouche d’Arthur, le Christ devient comme lui une personne souffrante et qui par cette souffrance même rendue visible cherche à faire culpabiliser celleux qui l’entourent. J’avoue que pour moi, cette phrase résonne (raisonne?) différemment.
Cette phrase, je la comprends comme la réalisation que le Christ n’est décidément pas à chercher dans une quelconque relique, mais bien en celleux qui souffrent avant tout. Tous les suicidés sont le Christ. Car iels crient à l’unisson de ce Jésus sur la croix : « Eli, Eli ! Lema sabachthani ? Mon Dieu, mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné·e ? » Quand on souffre, on est seul·e, il semble que personne ne pourra jamais comprendre. Reste Dieu, à qui l’on peut crier notre douleur, notre solitude. Reste Dieu, car même quand on croit que tout est néant, Dieu est là, malgré tout. Et Dieu souffre avec cellui qui souffre. Oui, Dieu est là plus qu’ailleurs, car plus rien ne le cache.
Toutes les baignoires sont le Graal. Voilà ce que tout·e chrétien·ne (et plus fondamentalement encore : tout être humain) est appelé·e à chercher : les baignoires, les récipients de désespoir et de solitude. Offrir une présence, pour qu’il ne vienne pas à l’esprit de cellui qui souffre de combler le vide par son propre sang.
Ainsi, au détour de la fiction, je retrouve le coeur de l’Evangile. Oui, le Vent souffle où il veut… Et au détour d’une brise venue de Bretagne, je sens les embruns de Galilée.
On ne trouve pas toujours ce que l’on est venu chercher, mais on peut découvrir l’inespéré, pour peu que l’on avance le regard curieux et le coeur grand ouvert.