Puis-je, en temps que théologienne déjà bachelorisée et bientôt (si Dieu le veut) masterisée, vous affirmer ceci sans sourcilier : « L’Evangile est un jeu » ? Absolument, et c’est très sérieux – si l’on entend par là que la chose est non pas austère et exempte de toute fantaisie, mais plutôt pleine d’une importance vitale, d’une vérité plus profonde qu’il n’y parait.
En témoignent les formes de plus en plus variées, participatives, ludiques, de cultes qui cherchent à redynamiser la transmission de l’Evangile, l’opposition qui existe entre la foi – affaire sérieuse s’il en est – et le jeu – symbole d’une supposée frivolité diabolique – a tendance à s’effacer, et c’est tant mieux ! Car autant la foi peut permettre d’aborder les univers ludiques avec un regard critique, et par là amoindrir la portée potentiellement aliénante du jeu, autant le jeu peut permettre de redonner à la foi, et plus particulièrement à l’Evangile, une légèreté et une actualité qui font parfois défaut à la manière protestante de dire la chose.
Je maintiens ma position, et vous propose de définir rapidement les deux éléments de cette affirmation : Qu’est-ce que l’Evangile ? Qu’est-ce que le jeu ? Ainsi, nous pourrons enfin plonger au coeur de ce que je souhaite vous dire par là. Point de définition scientifique trop poussée d’un côté comme de l’autre, rassurez-vous, juste l’essentiel, histoire que nous puissions avancer côte à côte.
L’Evangile, c’est la bonne nouvelle – littéralement – d’un Dieu qui aime tellement sa Création qu’Il s’incarne dans l’Histoire humaine pour être au plus proche de cette Humanité qui joue parfois à cache-cache avec Lui. Jésus sur terre, c’est Dieu qui dit : « viens, on s’aime ». Et si ce résumé n’est pas dénué d’un brin de frivolité, il n’en est pas moins sérieux.
Et le jeu alors ? La définition en est probablement encore moins évidente que celle ci-dessus. Tentons néanmoins ceci : le jeu est constitué d’un ensemble de règles circonscrivant les actions possibles des personnes qui s’y engagent dans le but principal d’en retirer du plaisir, sans recherche de productivité.
Si vous me suivez bien, vous pouvez en déduire que la définition que je fais du jeu vaut aussi pour l’Evangile. Comparez plutôt :
Insistons sur la spécificité de cet espace qui nous permet de comprendre pourquoi le jeu est, originellement, producteur d’un sens bien particulier et symptôme d’une relation au monde singulière. Le jeu ne produit pas le même type de signification que le travail, qui produit un sens ancré dans la réalité matérielle du monde. Il est tout autre. Il est dans le monde sans y être. Il est signification du monde sans pour autant y faire exclusivement référence. Le jeu est bien trajectivité entre les profondeurs de notre esprit, notre imaginaire, et un monde qui est là, mais qu’il s’agit de fonder, ou auquel il est question de donner un sens, c’est-à-dire une communauté. Le jeu, tel qu’il vient d’être caractérisé, semble donc évoluer dans un monde proche de ce monde imaginal. Le monde des comportements ludiques serait un monde où le monde a lieu, où notre monde a lieu.
[A. Fouillet, L’Empire ludique, p. 86]
Du monde, ils se sont pas, comme moi je ne suis pas du monde. Sanctifie les par la vérité ; Ta parole est vérité. Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. [Jean 17, 16-18]
Ce que je souhaite évoquer par cette association de textes, c’est que le jeu et l’Evangile semblent fonctionner sur un même mode, sur un même rapport à la réalité toute nue, qu’ils habillent et par là réenchantent. C’est une manière de s’approprier cette réalité, de lui donner un sens, une direction qui n’est pas seulement due au hasard.
Par ailleurs, faites un petit test : relisez le premier extrait en remplaçant le mot « jeu », par le mot « Evangile ».
L’Evangile est donc bien un jeu. Ou pour le dire plus précisément :
La vie est un Open world, un univers vidéo-ludique ouvert et qui se laisse explorer à l’envi par le.la joueur·se qu’est tout être humain, sans être nécessairement prédéfini par un game-play trop restrictif. Cet Open world, dans la perspective chrétienne que nous adoptons ici, a, comme tout jeu, un créateur – Dieu.
Libre à chacun·e de chercher ou non Sa présence dans le monde que nous explorons tout au long de notre vie ; car, si le créateur d’un jeu n’est pas directement visible, toute la map porte Son empreinte, tous les joueurs et personnages ont en eux quelque chose de Lui : c’est lui qui, à la base, a voulu toute chose. Mais la psychologie, l’apparence, les aspirations, la trajectoire du personnage appartiennent au.à la joueur·se, dans l’espace de liberté et de création qui lui a été donné.
Eh bien, les joueur·se·s ont en tout temps le choix d’installer ce mode de jeu bien particulier, un mode de jeu dans lequel le.la joueur·se décide d’entrer en relation directe avec le Créateur, parce qu’il croit possible, à travers les interactions avec d’autres joueur·se·s, à travers la beauté des décors, à travers quelque chose d’insaisissable au coeur même de son personnage, de percevoir Sa présence, de communiquer avec Lui – ouvrant par là une toute nouvelle dimension dans le jeu.
Choisir ce mode de jeu qu’est l’Evangile, c’est inscrire son personnage dans une narration, dans un récit qui va dès lors donner un sens au sien propre. Cela n’empêche en rien d’explorer tout aussi librement qu’avant ce merveilleux Open world qu’est la Vie, mais cela lui ajoute quelques aspirations, quelques quêtes – auxquelles le.la joueur·se se sent désormais appelé·e.
Le Christ, quant à lui, c’est simplement Dieu qui aime tant l’univers qu’Il a créé et les personnages qui y évoluent qu’Il a souhaité les rejoindre d’encore plus près, emprunter leur condition de joueur·se afin de leur prouver cet amour. Jésus, totalement joueur et totalement Créateur, est Celui qui est venu nous montrer comment jouer au mieux au grand jeu de la Vie. Sa vie à Lui n’a été qu’un grand cri d’amour qui disait : « Jouons ! Ayons du plaisir tous ensemble ! »
Oui, l’Evangile propose de s’inscrire dans une dynamique qui va de la création du jeu à l’ultime cinématique. Quelle est-elle ? Nul ne sait. Mais celles et ceux qui ont choisi ce mode de jeu espèrent en elle, et cela les aide à surmonter les obstacles : « Là, maintenant, je galère, mais je crois qu’au bout, tout ça aura valu la peine. »
Vivre dans un monde dans lequel il est possible d’être en relation avec son Créateur, un Créateur qui nous aime tant qu’Il nous donne les moyens de jouer avec Lui, tout en nous souhaitant d’avoir du plaisir à jouer avec les joueur·se·s qui nous entourent, n’est-ce pas véritablement miraculeux ?
Emery Noémie